Plus porteurs d’espoir ou ironiques, tout en évoquant les difficultés de l’exil ; « America » de la Nigériane Chinelo Okparanta dévoile peu à peu, au cours du trajet en bus de Port Harcourt vers Lagos, l’histoire intime et la persévérance d’une jeune enseignante qui rêve d’émigrer en Amérique, ainsi que la dureté de son pays et ses tabous ; et « Miracle », de l’américain d’origine nigériane Tope Folarin, raconté par la voix d’un enfant de la diaspora, qui se déroule au Texas, au cours d’une messe où les fidèles de la communauté nigériane sont rassemblés pour assister à la harangue et aux miracles d’un pasteur aveugle. La croyance dans les miracles religieux est ici la prospérité accomplie avec l’exil américain, miracle qui, comme on s’en doute, ne s’accomplit pas toujours.
Mes deux nouvelles préférées dans ce recueil : La Zimbabwéenne NoViolet Bulawayo crée un choc bouleversant dans SNAPSHOTS, avec la trajectoire dramatique d’une petite fille des quartiers pauvres de Harare, vendant des œufs dans la rue à l’adolescence pour survivre, une peinture vivide et indélébile de la misère et du sort des femmes, sur fond de crise économique et d’inflation galopante, et de tentatives d’émigration vers une Afrique du Sud incertaine et dangereuse.
Et enfin, concluant cet opus, « La république de Bombay » du Nigérian Rotimi Babatunde forme une critique acérée du colonialisme sur un mode tragicomique, au travers de l’histoire du Sergent de couleur dit Bombay, enrôlé pour combattre Hitler et les japonais pendant la seconde guerre mondiale sur un front oublié en Asie du Sud-Est, et qui, ayant découvert au front une nouvelle vision du monde – les stéréotypes envers les africains et la vulnérabilité des Blancs qui se présentaient comme invincibles -, proclame à son retour au pays un état indépendant dans une ancienne prison dominant la ville. » Librairie Charybde — Paris
« Si le nom propre « Darfour » a été abondamment repris et scandé par les grands médias français de toute obédience depuis une dizaine d’années, il faut reconnaître que la lectrice ou le lecteur, même doué(e)s d’une réelle curiosité, aura eu bien du mal à se mettre sous les yeux (quasiment depuis 1989, donc au moment de la « première » guerre du Darfour, mais bien avant la « grande » guerre civile, qui a débuté en 2003, avec le grand La navigation du faiseur de pluie de Jahmal Majoub, traduit chez nous en 1999) de la fiction solide en provenance directe du Soudan lui-même. Il y aurait donc là d’emblée une première bonne raison pour se précipiter sur ce Messie du Darfour, publié en 2012 (sous forme de pdf, comme presque tous ses autres romans en arabe), traduit en français en 2016 par Xavier Luffin chez Zulma, dont l’auteur, extrêmement populaire dans son pays natal, ainsi qu’en Égypte et en Syrie, a dû fuir la pression du régime soudanais, vers l’Autriche, en 2013. Une deuxième raison, sans doute la plus importante, est la magnifique écriture d’Abdelaziz Baraka Sakin, alliant un style incisif – tel que rendu par la traduction, en tout cas – et un jeu subtil entre registres littéraires qui donne toute sa puissance à cette fable contemporaine échevelée, scandée de malheurs et de malédictions, de rires et de farces. Pour nous faire partager les ambitions et les espoirs, les vengeances et les doutes de ses héroïnes et de ses héros, Abderahman l’orpheline, sa mère adoptive tante Kharifiyya, les enrôlés de force Shikiri Toto Kuwa et Ibrahim Khidir, le chef rebelle Charon, l’éleveur oncle Jumaa Sakin, et le curieux personnage qui se fera appeler, quasiment malgré lui, le Messie du Darfour, l’auteur use d’une narration résolument humoristique, travaillée au corps du tragique conflit qui oppose ici les musulmans arabes soutenus par le gouvernement aux musulmans non-arabes parmi lesquels la rébellion s’est développée, protestant contre le racisme du régime de Khartoum et contre les politiques d’accaparement subreptice des terres des agriculteurs sédentaires au profit des éleveurs nomades. Dans ce maelstrom de guérillas et de contre-guérillas, où les luttes religieuses ne peuvent même plus masquer vaguement (comme ce fut le cas lors de la guerre civile ayant conduit à l’indépendance du Sud-Soudan en 2011) les seuls conflits d’avidité et de rapine, la longue malédiction de l’esclavagisme arabe dont l’ombre portée demeure ici particulièrement forte (et que peu d’auteurs africains, même de nos jours, affrontent de face, comme le firent par exemple le Yambo Ouologuem du Devoir de violence en 1968 et l’Ahmadou Kourouma de Monné, outrages et défis en 1990), et la triste descendance des échecs coloniaux, britanniques en l’occurrence, c’est tout le miracle d’Abdelaziz Baraka Sakin que de nous offrir, parmi les tueries et les viols massifs qui composent l’ordinaire de cette guerre de purification ethnique, une singulière et – mais oui ! – joueuse histoire d’amitié et d’amour, de destinée et d’humour, d’absence de résignation et d’affirmation de conviction solide. » Hugues Robert, librairie Charybde — Paris
« On trouve de tout dans ce petit recueil qu’est Le Jardin dans l’île. On y tombe amoureux dans des circonstances pour le moins particulières (« La Nuit des voltigeurs », « Le Jardin dans l’île »). Les hommes y sont fréquemment brisés par la vie mais retrouvent, au gré des circonstances, un peu de leur superbe (« Figure humaine », « L’enclos »). Les femmes y sont magnifiques, parfois mystérieuses, le plus souvent aimantes et maternelles (« Figure humaine », « Le Jardin dans l’île »). Et puis, au gré des circonstances, le lecteur peut y faire la connaissance d’un mystérieux courtier capable de dénicher l’objet de vos rêves (« Le courtier Delaunay ») ou louer une propriété pour le moins… particulière (« L’inhabitable »). La nostalgie y a souvent sa place, qu’elle se réfugie dans le bouquet d’un vin (« Château Naguère ») ou des souvenirs d’enfance heureusement fantasmés (« L’enclos »), même si elle est souvent contrebalancée par un humour tranquille, dérapant parfois dans l’absurde (« L’importun »). L’élégance et la classe de l’écriture de Georges-Olivier Châteaureynaud s’y déploient en toute évidence, son impeccable sens du rythme et de l’atmosphère y font merveille pour graver cette collection de miniatures dans l’esprit du lecteur. Et, comme pour parachever l’ensemble, l’auteur s’y permet le luxe d’une dernière novella qui n’a rien à envier aux meilleures épopées de fantasy, commençant comme une fresque guerrière et se refermant en huis-clos dramatique au sein d’une forteresse inaccessible (« Zinzolins et Nacarats ») . Oui, décidément, on trouve de tout dans Le Jardin dans l’île. Et surtout la certitude que Georges-Olivier Châteaureynaud est décidément un très grand écrivain, probablement jamais aussi à l’aise que dans la miniature. Un immense petit recueil. » Librairie Charybde — Paris
« Publié en 1944 dans une relative indifférence, quelques mois avant la mort de son auteur, à 37 ans, réédité il y a quelques mois par Zulma après avoir été introuvable pendant des années, GOUVERNEURS DE LA ROSÉE, le troisième roman de l’activiste infatigable (en particulier contre la féroce occupation américaine des années 1915-1934) Jacques Roumain, est devenu depuis un grand classique de la littérature haïtienne moderne. Sous la plume du fondateur du Parti Communiste haïtien, en 1934, des personnages et une histoire prennent rapidement forme et se donnent rapidement les moyens d’accéder à un statut quasi-mythique. Lorsque le jeune Manuel revient de Cuba, où il a passé quinze ans comme ouvrier agricole dans les plantations de sucre, et participé de près à l’éveil d’une conscience socio-politique chez les prolétaires de la plus grande île caraïbe, il découvre son village natal haïtien au bord du gouffre, terrassé à la fois par une terrible sécheresse qui, ruinant les cultures vivrières des paysans pauvres, les met à la merci des riches marchands, qui rachètent leurs lopins à vil prix, et de leurs cohortes d’intermédiaires et fonctionnaires corrompus, qui les saignent de prêts usuraires et de tracasseries arbitraires, et par une sombre vendetta qui divise les forces vives des travailleurs de la terre, déjà amoindries, en deux clans apparemment irréconciliables. Il faudra toute l’abnégation de Manuel, arpentant inlassablement les mornes et les ravines à la recherche d’une source, et tout son amour partagé pour Annaïse, belle jeune fille du clan d’en face et complice de son rêve d’unité et de liberté, pour que, peut-être, les choses changent… En forme de fable, dans une langue magnifique où les dialogues font mouche et tapent fort, où les personnages ne sont jamais caricaturaux, où les descriptions, pourtant tout en retenue, font vivre la beauté, où transparaît comme le souffle d’un Giono qui aurait disposé d’une conscience socio-politique, un très grand roman. » Librairie Charybde — Paris
Le tout dessine une mosaïque qui parvient à rendre le charisme, l’aura propre aux artistes hors du commun (magnifiques passages évoquant les ambiances des derniers concerts) tout autant qu’à réinscrire la trajectoire d’un homme intègre et intransigeant dans le contexte d’une époque.
Un roman superbe qui donne une furieuse envie de réécouter d’une traite toute la discographie du grand Gil. » Librairie Charybde — Paris