« Au nord-est du Mexique, la ville de Monterrey, bien que troisième plus grande ville du pays, restait jusqu’à présent, au contraire des autres villes frontières, moins marquée par la violence aveugle des narcos et des trafiquants en tout genre.
En neuf nouvelles parfaites qui forment une sorte de roman kaléidoscopique, Eduardo Antonio Parra nous démontre le contraire. Il brosse le portrait d’une ville terrifiante de noirceur. Un peu comme dans « Douce nuit », nouvelle de Buzzati reproduite dans le recueil K, où chaque chose à l’intérieur du jardin semble n’être que poésie et calme divin, la ville de Monterrey dort du sommeil du juste, à peine effleurée par l’angoisse. On pourrait s’y promener par une nuit sans lune et s’asseoir à une terrasse avec un inconnu sans que rien n’arrive. Pourtant, à y regarder de plus près, dans les recoins sombres, tout n’est que désir, peur, vice. Les personnages de Parra sont arrivés à cet état limite où tout est consommé, ils n’ont plus le choix de revenir en arrière, que ce soit dans le plaisir, la folie ou la misère.
Avec une sobriété de moyens peu commune, Parra nous plonge au cœur de l’enfer, au milieu des gangs, des prostituées, des toxicos, de tout ce petit peuple sordide qui s’agite à la recherche d’un peu de jouissance volée.
Excités comme des chiens par l’odeur du sang, il s’exaspèrent les uns les autres jusqu’à ce que le premier coup parte. Evidemment, la frontière, la seule qui compte, n’est qu’à deux cents kilomètres, et cette proximité semble être de près ou de loin un ingrédient fondamental de tous ces débordements de violence. Entre attirance irrépressible et dégoût, la présence des Etats-Unis de l’autre côté de la rivière semble décupler la rancœur des habitants. Chacune des nouvelles exacerbe un sentiment qui répond à une logique folle, et la mène jusqu’au bout : la solitude d’une prostituée qui se refuse à tous ses clients, la trahison d’un serment d’enfant qui se termine, des années plus tard, en rixe mortelle, la folie furieuse d’un couple paranoïaque enfermé dans son luxueux appartement… Le pouvoir d’évocation de Parra est du grand art. Son écriture tout en retenue et d’une grande maîtrise laisse suffisamment de place pour que notre imagination se mettre immédiatement à galoper. Mais la construction maîtrisée nous bride au bon moment et nous mène exactement où elle veut. » Michel Edo, librairie Lucioles — Vienne