« L’ÂME DE KOTARO CONTEMPLAIT LA MER n’est pas un roman japonais de plus. D’abord ce n’est pas un roman, c’est un recueil de nouvelles. Et si vous n’avez pas fuit suite à cette précision, laissez-moi vous dire en plus que ce n’est pas exactement de la littérature japonaise puisque son auteur est originaire d’Okinawa et que toutes les nouvelles regroupées dans ce livre s’y déroulent. Et Okinawa, ce n’est pas exactement le Japon.

Île principale de l’archipel de Ryûkyû, elle possède une langue apparentée au japonais et une culture originale avec une forte influence matriarcale. Elle fut le théâtre de sanglantes batailles en 1945 et ne fut rendue au Japon qu’en 1972, après être restée entre-temps sous administration des États-Unis.

Tout cela se retrouve dans ces nouvelles fortement imprégnées de la propre enfance de leur auteur, Medoruma Shun né en 1960. Il y a la beauté des paysages, les criques, les récifs, les rivières riches en poissons et conjointement, la souillure, la pollution industrielle, la brutalité et le viol. Il y a quelque chose sur ces îles paradisiaques de profondément douloureux, comme si le déchaînement de rage des derniers combats livrés une décennie plus tôt par l’armée japonaise afin de repousser l’envahisseur américain n’en finissait pas de résonner dans le silence même des forêts. Cela apparaît dans chacune des ces histoires, qu’elles racontent l’amitié d’un enfant pour un vieux pêcheur au passé épique dans L’AWAMORI DU PÈRE BRÉSIL ou la cruauté tolérée pour les combats de coq racontée avec un réalisme sidérant dans COQ DE COMBAT. Cette nouvelle se distingue du reste du recueil, d’ailleurs, par un certain fantastique, lequel se manifeste par petites touches au contact du plus quotidien des occupations des habitants de l’île. Car ici et là apparaissent aux yeux de celles et ceux qui sont disposés à les percevoir — souvent des enfants, mais aussi une vieille dame dans MABUIGUMI L’ÂME RELOGÉE — l’âme de certains disparus dont la seule apparition secoue ensemble personnages et lecteur d’un grand frisson mélancolique.

D’une très grande économie de moyens, l’écriture de Medoruma Shun a été, comme le rappelle son éditrice, récompensée par les très prestigieux prix Akutagawa et Kawabata. Ces prix-là ne vous disent peut-être pas plus de choses qu’à moi, mais soyez certains que si j’avais moi-même mon prix, je le lui aurais décerné avec le plus grand respect. » François Reynaud, librairie des Cordeliers — Romans-sur-Isère