« Les livres s’offrent à nous dans leur présence nue et parfois, dès les premières pages, nous sommes happés, aspirés en leur centre. Quelque chose agit, difficile à définir – et on voudrait en savoir plus sur l’auteur tout en pensant que le texte suffit.

Le texte – il est dans la lignée de ces livres inclassables, Dehors devant la porte, de Wolfgang Borchert, ou le Monde de pierre, de Tadeusz Borowski. Partant de l’expérience de leur auteur, un retour de guerre dans une ville en ruine, ou la déportation à Auschwitz, pour faire entrer la catastrophe – de quelque ordre qu’elle soit – en littérature.

Gert Ledig prétendait témoigner, et non faire œuvre littéraire. Cela n’est sans doute pas contradictoire. Certes, il a fait la guerre, comme Borchert, en Russie, côté allemand (et son roman les Orgues de Staline, paru en 1955, en rend compte, de façon plus classique), certes, il a connu les bombardements aériens de 1944 sur Munich – c’est le sujet de Sous les bombes, ou plutôt, ce sont les circonstances, car le livre, même s’il se passe en une heure et neuf minutes, le temps d’une attaque aérienne, n’est pas un roman de guerre.

Une ville sans nom, comme la plupart des personnages, où tout ce qui tient debout risque de s’effondrer, où tous ceux qui vivent risquent de finir déchiquetés ou carbonisés. Sous les bombes décrit un moment de bascule, un monde encore en sursis avant de devenir décombres, des ombres errantes dont le destin est d’être fantômes. Quelques faits, tout de même. Sous les bombes date de 1956, reparaît en 1999 mais son auteur, né en 1921, n’en voit que les épreuves et meurt quelques semaines avant la réédition. À l’accueil plus que réservé de 1956 – contrastant avec le succès des Orgues de Staline – succède la reconnaissance. Comme s’il avait fallu ce temps pour que l’œuvre fasse son chemin dans la conscience allemande – mais aussi européenne – et que sa singularité apparaisse enfin, délivrée de toute arrière-pensée. »

C. W.