Auður Ava Ólafsdóttir a conçu ce roman plein d’énergie et d’humour de l’icelandic way of life en courtes saynètes très pince-sans-rire et somme toute assez dramatiques, qui s’enchaînent sans désemparer sur l’île de feu et de glace, pour tout dire de la famille aujourd’hui, du mariage, d’un adultère d’un type particulier et des aléas immanquables de la séparation, quand on est une jeune femme émancipée et responsable, qui, accessoirement ou non, travaille pour une organisation humanitaire internationale spécialisée dans le secours aux enfants victimes des mines antipersonnel.

Mais on passerait à côté du propos de l’Exception, manière de roman analytique et vaudevillesque à double ou triple rebond, qu’Auður Ava Ólafsdóttir a curieusement sous-titré de arte poetica, si on oubliait d’évoquer l’interlocuteur principal de l’histoire ou des histoires, à savoir Perla, la naine écrivaine qui partage la résidence de la protagoniste dans son appartement de l’entresol, à l’étage en dessous. Au service d’un mystérieux auteur de polars, elle s’interroge sans cesse sur la vraisemblance d’affolantes péripéties qu’on ne peut s’empêcher de mettre en relation avec la vie de sa voisine du dessus. Omniprésente, qu’elle soit en manque d’un ustensile quelconque ou ait l’idée de partager sa soupe ou ses états d’âme, Perla devient assez vite indispensable. Sa curiosité pour tous les faits et gestes de Maria et de son couple ne cesse de surprendre ; mais la conseillère conjugale qui rédige un traité du mariage en même temps qu’elle concocte des intrigues policières n’est-elle pas la mieux placée pour assister une épouse délaissée qui passe par toutes les étapes répertoriées conséquentes à une rupture, avec ses découvertes déconcertantes, ses chantages affectifs, ses actes manqués, le long travail du deuil amoureux ?

Ni Perla la naine surdouée qui se moque d’elle-même en jouant les expertes, ni Maria l’épouse idéale démunie devant les options sexuelles incompatibles de l’homme de sa vie, ni les autres acteurs de cette comédie dramatique à l’islandaise, adorables bambins, belles-familles consternées ou complices, père génétique inconnu apparu pour mourir au moment du plus grand désarroi, ne détournent le lecteur d’une alerte cocasserie de ton dans l’écriture, d’une sorte d’enjouement tendre, de brio ininterrompu qui, l’air de rien, font de l’Exception un grand roman de la déconstruction et de la reconstruction narcissique à la portée du commun des mortels. Quiconque a connu de près ou de loin les affres de la rupture amoureuse devrait s’y retrouver et s’y perdre avec un vif amusement et une délicieuse inquiétude – car Auður Ava Ólafsdóttir, en romancière avisée, nous fait revivre tous les pièges et traquenards du désamour comme de l’amour-propre.

Au milieu de ces personnages tout empêtrés dans les fils de la destinée, l’inénarrable Perla nous apparaît peu à peu comme une véritable montreuse de marionnettes. C’est alors que le roman prend tout son sens du point de vue de l’art romanesque et des enjeux de la fiction. Qui est le véritable protagoniste de cette histoire, Maria, la narratrice éclairée de son propre drame, ou Perla, la naine énigmatique de l’entresol ? Et quelle est la part de l’écrivaine dans les affabulations qui ne cessent de perturber l’équilibre psychologique de son interlocutrice et patiente ?…