« Nous étions à notre quelque part quand ils sont arrivés. D’abord la fille avec ses yeux qui ne voulaient pas rester en place. Hmm, puisque tu es là, laisse-moi te raconter cette histoire avant qu’elle ne refroidisse. » Tout commence dans un village traditionnel de l’arrière-pays, non loin d’Accra, capitale du Ghana, entre forêt tropicale et océan, où les mœurs et les rituels intangibles de la vie quotidienne semblent à l’image du ciel et de la mer. La découverte d’une masse organique informe en état de décomposition avancée dans la case d’un certain Kofi Atta, disparu depuis plusieurs semaines, entraîne l’investigation de la police criminelle d’Accra, laquelle mène son enquête avec une totale perplexité et un proverbial manque de souplesse. L’affaire remonte vite à l’Inspecteur principal de police Donkor, un personnage des plus corrompu, particulièrement retors et machiavélique, qui aussitôt s’en empare pour servir son prestige : il faut absolument que cet improbable fait divers prenne les proportions d’une affaire d’État.

Voilà justement que Kayo Odamtten, jeune médecin légiste expert des scènes de crimes, qui végète pour l’heure dans un laboratoire d’analyses, se trouve sur le chemin de l’Inspecteur principal. Arrêté, accusé de complot contre le gouvernement, Kayo est contraint d’accepter la mission. Flanqué d’un policier subalterne plutôt bonasse qui lui sert de chauffeur et de garde du corps, le médecin légiste féru de rationalité se rend donc sur les lieux du délit, où les villageois l’accueillent avec une parfaite bienveillance. D’emblée, il est profondément troublé par ce monde de la forêt qui lui rappelle un drame de son enfance, la mort de son grand-père noyé dans une flaque d’eau. Comment un pêcheur peut-il se noyer dans quelques centimètres d’eau ? Cet événement fondateur explique, on le devine, la vocation de Kayo.

Mais le mode de vie et de pensée d’un village traditionnel du Ghana n’a rien à voir avec les méthodes du rationalisme occidental. Kayo, séduit et désarçonné par les paroles de Yao Poku, le vieux chasseur, le découvre avec une certaine stupeur : la masse informe et totalement désossée gisant sur une natte dans la case de Kofi Atta, méchant homme qui fit le malheur de sa femme et de sa fille, est bien d’origine humaine.

Entre alors en scène Oduro, le féticheur du village, lui aussi excellent palabreur et grand buveur de vin de palme agrémenté de philtres aphrodisiaques. En relais du vieux chasseur, Oduro raconte à Kayo une histoire fabuleuse qui semble devoir éclairer la ténébreuse affaire de la case de Kofi Atta. Kayo découvre une autre manière de penser le monde, du côté des esprits des ancêtres, des énergies cosmiques et de la sagesse chamanique. Dans la jubilation haletante de la narration, sa relation avec le vieux chasseur et le féticheur, après tant d’événements déconcertants, prend là, peu à peu, toute sa valeur d’initiation : en quête d’un lieu inviolable, loin des prédateurs des administrations et des finances, le héros renaîtra en ce quelque part, au bord du Golfe de Guinée, au creux d’une forêt où palpite tout un univers de pensée et de sensibilité.

Notre quelque part, sorte de thriller paradoxal, use de la langue avec une puissance d’évocation et une inventivité lexicale proprement envoûtantes. Sika Fakambi, la traductrice, a réussi un exploit dans sa transcription d’une écriture tout à fait originale, combinant d’un côté l’écriture de l’oralité qui distord la langue et croise les registres, le pidgin ghanéen, le twi du vieux chasseur, et de l’autre l’anglais standard. Cet exploit rend merveilleusement compte d’un imaginaire qui se nourrit des langues dialectales du Ghana anglophone, pour nous offrir « un époustouflant, un prodigieux remix d’histoire et de langue » (The Guardian).