Vous venez de recevoir le prix Courrier international pour Le Goût âpre des kakis et vous avez également reçu de nombreuses récompenses en Iran, notamment pour votre dernier roman C’est moi qui éteins les lumières (à paraître en 2011 aux éditions Zulma). Est-ce très important pour vous de voir vos œuvres diffusées à l’étranger et récompensées par des prix ?

Zôya Pirzâd : C’est un véritable encouragement de voir que mon travail est reconnu, que des gens l’ont lu et aimé. C’est pour cette raison que cela m’a fait plaisir de recevoir le prix Courrier international. J’aime quand des gens viennent me voir pour me parler des livres, ou quand je lis des commentaires sur des blogs. Mais je n’aime pas trop m’asseoir avec des intellectuels pour parler littérature. Je n’ai pas vraiment le sentiment de faire partie d’une lignée ou d’un groupe d’auteurs iraniens, parce que le genre de la nouvelle et ma manière d’écrire sont totalement différents de ce qui s’est fait et se fait en Iran. Je pense qu’être un écrivain c’est tout simplement écrire. L’autre volet du métier, le contact avec les lecteurs, est très intéressant. Le lecteur ne ment pas, il a aimé ou pas !

Vos personnages principaux sont souvent des femmes. La femme iranienne telle qu’on la découvre à travers vos œuvres semble coincée entre la pression familiale, la nécessité de travailler et ses désirs d’épanouissement personnel. 

Zôya Pirzâd : J’écris beaucoup sur les femmes car elles sont au centre de mes préoccupations en ce moment. Le fait que les femmes soient considérées comme forcément dépendantes des hommes, c’est quelque chose qui me dérange. En Iran, en Arménie, en Inde, dans beaucoup de pays de culture non occidentale, la fille est d’abord, lorsqu’elle naît, la fille de son père, puis elle est la femme de son mari, puis la mère de son fils. Le sort de la femme est toujours lié à celui d’un homme. Voilà ce que la société attend des femmes : travailler à la maison, se marier, puis avoir des enfants. C’était le cas en France il y a une cinquantaine d’années. Néanmoins, la situation a évolué en Iran. Les nouvelles du Goût âpre des kakis reflètent largement la réalité, à savoir que certaines femmes travaillent et que d’autres restent à la maison, comme dans beaucoup de pays. La particularité en Iran, c’est que la famille est encore très envahissante. Dans mon roman On s’y fera par exemple, on m’a souvent demandé comment il était possible qu’Arezou, une femme de caractère, qui dirige une entreprise et qui a des hommes sous ses ordres, soit si soumise aux exigences de sa mère et de sa fille. Beaucoup m’ont dit que cela n’était pas crédible. Mais la relation mère-fille est vraiment spéciale, et on en a une double preuve dans ce roman. On voit beaucoup de femmes très fortes aux prises avec leur mère. Elles sont coincées entre leurs obligations et leurs aspirations. Arezou est obligé de travailler, de subvenir aux besoins de sa famille, mais, dans son cœur, elle veut être amoureuse, vivre une vie simple.

Vous avez le sens du détail, une écriture très minutieuse, et pourtant on ne sait pas grand-chose sur vos personnages.

Zôya Pirzâd : Anton Tchekhov a dit que lorsqu’on décrit une pièce au début d’un roman, si l’on parle d’un fusil accroché à un mur, alors il faut que ce fusil revienne à un moment donné de l’intrigue, qu’il ait un sens. On ne fait pas une description de musée. Lorsque l’on décrit une maison, on montre le caractère de son personnage. Si on trouve dans mes nouvelles un appartement surchargé, où il y a par exemple et un chauffage électrique et une cheminée, on sait que l’on se trouve dans une famille de nouveaux riches de Téhéran. Les choses ont davantage d’impact lorsqu’on les dit de manière indirecte. Les personnages peuvent aussi donner des informations sur eux-mêmes à travers les dialogues. Je pense que pour le lecteur c’est plus intéressant. Je souhaite surtout qu’il ne s’ennuie pas. Pour moi, c’est le plus important, car moi-même en tant que lectrice, si ça ne m’intéresse pas, je me lasse très vite.

Vous dites vous inspirer beaucoup des films classiques et vous avez une écriture très cinématographique, où l’on peut même imaginer les gros plans. 

Zôya Pirzâd : Quand j’écris, je vois la scène qui se déroule. Je veux que mon lecteur la voie aussi. Cela vient sans doute aussi beaucoup du fait que mon écriture est fondée sur l’observation. J’observe beaucoup, les gens qui me parlent ou quand je fais la queue à la banque par exemple, et je saisis forcément quelque chose. Lorsque j’écris, je me projette moi-même dans la scène, c’est ainsi que cela fonctionne. ?

Votre écriture est très simple, contrairement à ce qu’on peut lire dans la majorité de la littérature persane.

Zôya Pirzâd : Je pense que chaque écrivain écrit comme il est. Moi-même je ne suis pas quelqu’un de trop compliqué, c’est pour cela que j’écris comme ça ! Ce que je n’aime pas dans la littérature iranienne, c’est que les personnages ne parlent pas comme dans la vie quotidienne. Quand j’ai commencé à écrire, les mots se sont présentés comme ça, et je me suis dit oui, je suis proche de cette écriture, c’est ma langue. Le dialogue est très important, surtout dans la langue persane, il peut vite être d’un style très lourd. Les auteurs iraniens tentent d’écrire en style direct ou indirect. Moi, tout mon effort est de n’écrire ni en style direct ni indirect. Autant que je peux, j’essaie de rapprocher la langue écrite de l’oral. Mon obsession est de simplifier la langue. De plus, quand on écrit une nouvelle, les mots doivent correspondre au cadre et au rythme de la nouvelle. Dans la nouvelle « le Goût âpre des kakis », en persan, le rythme est totalement différent de celui de la nouvelle « Les Taches ». Pourquoi ? Parce que, dans « le Goût âpre des kakis », la femme est une aristocrate qui vit seule dans une grande maison. Le temps passe lentement. Dans « Les Taches », le rythme est très rapide, comme la vie d’un couple qui se délite. C’est particulièrement frappant dans On s’y fera. Lorsque j’ai écrit ce livre, on m’a dit : « Mais étiez-vous si pressée de terminer ce livre ? » Je n’étais pas pressée, je l’ai écrit au rythme de Téhéran, très rapide de nos jours. Dans C’est moi qui éteins les lumières, tout est très lent, car Abadan [la ville natale de Zôya Pirzâd, dans le sud-ouest de l’Iran], dans les années 1960, était une ville très calme. Dans le Goût âpre des kakis, il y a des mots qui ne sont jamais utilisés dans « Les Taches », parce que cela ne correspond pas aux personnages. Je recherche la simplicité et la justesse. Et c’est très difficile d’écrire simplement.

Dans votre roman Un jour avant Pâques, vous situez la trame au sein de la communauté arménienne. Vous êtes vous-même d’origine arménienne. Comment conciliez-vous les cultures arménienne et persane ?

Zôya Pirzâd : La culture arménienne est très différente. Les Arméniens vivent depuis quatre cents ans en Iran mais ils ont conservé beaucoup de leur culture, même s’ils ont emprunté beaucoup à la culture persane. Je possède les deux cultures, et je suis confrontée aux problèmes qui résultent de chacune d’elles. Les Arméniens sont très chatouilleux sur leur langue et leur culture. Au début, je n’étais pas favorable à cette forme d’intolérance. Moi-même je l’ai subie. Ma mère, arménienne à 100 %, a épousé un musulman. Cela a été très difficile pour elle, sa famille l’a rejetée. Je me suis toujours fait importuner à l’école arménienne, parce que mon nom ne finit pas en “ian”. Tant que je n’étais pas allée en Arménie, je n’avais pas de proximité avec les Arméniens. En y allant, je me suis rendue compte que si les Arméniens n’étaient pas comme ça, ils n’existeraient plus. Dans Un jour avant Pâques, c’est en quelque sorte de moi que je parle même si l’histoire est fictive.

Dans vos livres, les personnages partent souvent aux Etats-Unis ou en reviennent. Peut-on parler d’une fascination iranienne pour les Etats-Unis ?

Zôya Pirzâd : Les États-Unis ont un rôle très important pour les Iraniens. Tout ce qui vient d’Amérique, la culture américaine, exerce un grand attrait. Surtout depuis la révolution [islamique de 1979], beaucoup veulent partir et vivre le rêve américain, ils pensent que tous leurs problèmes vont s’arranger, ce qui n’est souvent pas le cas, c’est même pire. En Iran, les gens qui vivent aux Etats-Unis ou qui y vont régulièrement aiment bien le montrer. Ils regardent les autres Iraniens avec une certaine condescendance. Dans On s’y fera, il y a une femme qui discute avec sa fille chez le coiffeur et qui s’évertue à ponctuer ses phrases persanes de mots anglais. Cette scène s’est réellement produite, je l’ai mise telle quelle dans le livre ! C’est ce que nous appelons la culture losangelesi [de Los Angeles, où vit une très importante communauté iranienne]. Un jour, une Iranienne naturalisée américaine m’a dit : « Je suis tellement fière de mon passeport américain ! » Je lui ai répondu que, de mon côté, j’étais très fière de mon passeport iranien. Je ne suis jamais allée aux États-Unis et je n’ai pas du tout envie d’y aller !

Propos recueillis par Hamdam Mostafavi © Courrier international, 2009