« Parmi les innombrables raisons qui poussent à écrire et à produire un roman, il en est une ancienne et pourtant toujours d’actualité, toujours neuve, autour d’un questionnement, on pourrait presque dire une métaphysique de la langue. Où se situe la limite du langage à dire ? Comment traduire quoi que ce soit des mouvements de l’être et de l’âme avec des phrases ? La poésie fait matière de cette tension, mais le roman aussi. Une certaine forme de roman, qui depuis Sei Shônagon (les 162 fragments des Notes de chevet, écrits en l’an mille, à lire et relire toute une vie) jusqu’à Pascal Quignard (Les tablettes de buis d’Apronenia Avitia) n’hésite pas, dans un splendide mouvement de confiance au lecteur, à n’offrir que des aperçus, des morceaux, des esquisses même, que l’œil et la mémoire de celui qui lit vont recomposer pour s’approprier un monde.

Daniel Morvan s’inscrit dans cette lignée, avec la parution de Lucia Antonia, funambule. Son héroïne, coincée entre ciel et terre, réfugiée dans les salines, consigne sur de petits carnets des éclats cristallins du quotidien, de son histoire, de sa mémoire, de son deuil. L’écriture épingle en quelques phrases ou quelques lignes les situations, les émotions, la magie du cirque, l’art du fil de fer sur lequel on balance sa vie. Nous ne sommes pas dans les salants aux confins de quelque Guérande par hasard : comme l’action du vent et du soleil provoquant l’évaporation et la cristallisation de ce qui fut longtemps la première monnaie d’échange et de troc, l’action de la lecture fait surgir quelques diamants, sublimation élégiaque d’une autre monnaie d’échange que nous partageons tous, le langage. Acrobate, funambule, marches incertaines dans des territoires de confins, ni terre ni air – comme sur un fil de fer – ni terre ni eau – comme dans la saline –, pour un enchantement rythmique et musical dont les arrangements mélancoliques bouleversent… » Librairie Labyrinthes — Rambouillet