Trois questions à Hubert Haddad
à propos des Petits Sortilèges des amants.

Comment vous est venue l’idée de reprendre à votre compte une forme de littérature plutôt tombée en désuétude ?

Le fonds populaire a toujours un caractère anachronique, voire désuet, parce qu’il manifeste une tradition orale, datée dans son expression comme dans ses enjeux. Mais ces archaïsmes nous enchantent par la poésie involontaire qui s’attache à la pensée sauvage travaillée par le démon de l’analogie. À partir des rituels et formules magiques rapportés sans distance, comme des recettes d’apothicaire, j’ai tenté pour mon compte de retrouver la chanson perdue, l’air en sourdine du “bon vieux temps” pour rendre sensibles maléfices et sortilèges.

Pourquoi les amants donnent-ils si facilement dans la superstition ?

Dans ses formes aiguës, l’état amoureux confine au délire paranoïaque. Tout y devient signes et augures, invocations secourables aux forces irrationnelles. Le philtre de Tristan, c’est l’air qu’on respire. Pas étonnant que tous les rebouteux de Vénus s’approprient les espoirs, les terreurs et les convoitises. Comment n’être pas superstitieux ? L’avenir est un jeu de roulette et l’amour une couleur magique sur laquelle on mise d’un coup toute sa fortune. L’instinct de perpétuation s’embarrasse des épiphanies de la sublimation pour s’accomplir, mais l’âme qui trouble le sexe cherche dans ce trouble la mécanique imparable avec des poisons, des pas de deux, des évanescences. Le propre de l’homme, cet attardé des fonctions animales, c’est la superstition, l’art de gérer l’incréé avec les petites recettes de l’incarnation.

Y aurait-il d’après vous autant de magie dans l’amour que dans les mots pour le dire ?

La magie, c’est l’amour désincarné, l’amour sans l’amour, un enchantement du temps. Tout ce qui participe des pulsions et de leurs contrariétés porte fatalement à l’illusion, aux moyens fantasmatiques d’atteindre ses fins. Mais l’amour accompli, pour survivre, s’entoure bientôt d’une fable narcissique dont l’extrême fragilité suscite de nouveaux processus superstitieux. La vraie magie de l’amour, au fond, c’est le partage du silence, une façon harmonieuse de tenir tête aux contingences, tels que le vieillissement ou le siège des prétendants. Et les paroles ne peuvent être que d’expérience, toujours un peu désenchantées. Les plus belles s’essaient à recréer par le verbe les conditions idéales en s’en tenant à l’imaginaire. Proust n’a jamais tant aimé Albertine qu’à travers Swann et la Recherche. Mais c’est déjà presque l’agonie. Quant à Dante ou Pétrarque, ils tinrent toute leur vie boutique de rêve sur la foi d’un regard ou d’un engouement de pucelle. Reste la magie : faire comme si l’émotion de la vie et les aléas du destin dépendaient du mouvement des nuages ou des cornes de l’escargot.