Ni dans la trésorerie des Brouillards sacrés, ni dans le registre des Événements improbables, l’Empereur de Jade n’avait relevé le moindre augure de la venue de Souen. Le singe né d’un œuf de porphyre chu de la montagne et que la foudre fit jaillir des profondeurs de la terre n’en inaugure pas moins ses tribulations merveilleuses, bien décidé à connaître les ultimes vérités.

Pour satisfaire son ambition, le Singe Souen commence par s’emparer du pouvoir simiesque, et devenu le Roi Beau-Singe, commence sa quête d’un graal sino-simiesque en escaladant la montagne aux Écritures sacrées. Sa faute et son élection viennent d’ailleurs d’un pêché d’orgueil : après avoir tout subi, Souen refuse de se transformer en concombre de mer. Cependant il poursuit son ascension, au service de Petite Lune, son Eurydice entraînée au Royaume des ombres, sauvant sa tribu du Maître de la mort, luttant contre son Double, confondant l’Abîme avec le Sommet, échappant au chaudron de Lao-Tseu, bousculant tous les bureaucrates du Ciel, et enfin soumettant l’Empereur de Jade à sa cause. Le pouvoir de métamorphose quasi infini de Souen et des gardiens de l’Illusion qu’il doit affronter prend des proportions hallucinantes, comme la Création entière en accéléré ! « Ma Volonté est mon destin », telle est la devise aux résonances nietzschéennes de Souen. Devant pareil phénomène, un Éveillé s’exclamera : « On peut être un grand esprit et s’étonner qu’un macaque ait le droit de s’asseoir à la même natte de méditation que vous. »

 

On se souvient du pèlerinage en Inde du moine chinois Tripitaka parti en quête des Écritures sacrées avec pour toute compagnie un singe à son service. À partir de ces sources, s’élabore l’histoire épique du Singe cette fois conquérant, combattant avec des ruses hilarantes les dragons, les monstres, les plus grands magiciens ou la Mort elle-même, cet épouvantable Chancre transformiste, détrônant un à un les bodhisattvas et les déités intermédiaires. Devenu enfin immortel malgré la perplexité générale des plus hauts dignitaires des Sphères célestes, bientôt flanqué d’un empereur et de dieux déchus, Souen poursuit l’ascension de la montagne de tous les Périls et de tous les Secrets afin d’atteindre le Ciel en égal du Çâkyamuni, le Bouddha des bouddhas. Devenu par effraction le Singe égal du Ciel, Souen ouvre ainsi la Voie de la Foudre qui n’est autre que le Vajrayâna, également appelé la Voie du Diamant : « Tu étais enceint du Créé, et tu viens d’en accoucher. Tu participes désormais de l’Incréé » déclare le Bouddha Çâkyamuni qui le compare au vent et le sacre Bouddha des Cinq Éléments.

Le Singe égal du ciel s’inspire librement de la légende chinoise dont Wu Cheng’en tira son fameux roman la Pérégrination vers l’Ouest (Xiyou ji), sous la dynastie des Ming. Par ce premier Si Yeou ki occidental, Frédérick Tristan prend prétexte des aventures héroïques et métaphysiques du Singe-Roi, pour littéralement nous envoûter par une prodigieuse leçon d’érudition, car sous les masques et les avatars terrifiants, béatifiques ou drolatiques, c’est toute une civilisation multimillénaire qu’il illustre de la manière la plus imagée et accessible, toutes les doctrines et les sagesses secrètes de la Chine.

Avec le Singe égal du ciel, Frédérick Tristan, grand voyageur et spécialiste du taoïsme, réussit la parfaite synthèse de l’art de conter, du génie inventif et d’une facétie pantagruélique, tout cela rapporté à la Chine traditionnelle, aux grands mythes bouddhistes et taoïstes. Il est l’auteur du plus fabuleux roman chinois qu’un occidental ait écrit.