Petit lexique thématique de Mes seuls dieux

Amour
« L’amour pour ma mère me remplissait, il ne pouvait être contenu. J’ai dit à ma grand-mère, grands grands yeux, elle a. Oui, fit-elle de la tête. J’ai dit, longs longs cheveux. C’est vrai, approuva-t-elle, c’est vrai. J’ai dit, c’est ma mère, en me frappant la poitrine de la main. Oui, a dit ma grand-mère, en coupant une rose rouge. Seulement ma mère, j’ai dit. Incapable d’en dire plus, j’ai couru vers la maison pour lui dire ce que je ressentais. » (Mes seuls dieux, page 56)

Anglais
« —Ma fille, enchaîna Mme Srivastava, qui travaille comme ingénieur à Madras, elle me dit que les anglais continuent d’écrire les mêmes vieilles histoires sur l’Inde, les mêmes, mêmes vieilles histoires.
— Votre fille a absolument raison. répondit Rao.
— Ma fille, dit Mme Srivastava, dit que ces anglais parlent toujours de tuer les tigres, de gouverner des Indiens stupides, ou de la pauvreté et de la puanteur de l’Inde.
— Exact, dit Rao. C’est tout ce qu’ils veulent entendre, c’est tout ce qu’ils sont disposés à lire ou à publier.
— Ma fille, elle dit que chez ces Britanniques, soit ils glorifient l’Inde, soit ils font radicalement le contraire. Soit ils écrivent sur les Maharajas et les tigres et les charmeurs de serpents, soit ils écrivent sur les bidonvilles et les gens qui chient en public.
Mr Singh et Mr Srivastava détournèrent les yeux, choqués.
— Beau discours que tu nous donnes là, dit Mr Srivastava, en rougissant des oreilles. »
(page 146)

Coutumes
« Ce fut ma vieille amie qui, en toute innocence, me posa la question : est-ce que la famille observait les coutumes habituelles au cas où le nouveau-né était un garçon ? Quelles coutumes, ai-je demandé, décontenancée. Elle gloussa de rire. Les habituelles, dit-elle. Tes parents devront venir chargés de cadeaux pour eux. Elle vit mon expression et me toucha le bras. Elle dit, ça n’arrive pas toujours. Mes beaux-parents n’ont rien exigé, je suis sûre que les tiens n’en feront rien. » (page 25)

Dieux
« À l’école nous avions notre Dieu chrétien, à la maison nos dieux hindous, et je n’avais aucune difficulté à croire aux deux. Quand les bonnes sœurs nous parlaient des miracles accomplis par le Christ, je les associais aux miracles accomplis par Krishna, car je les aimais réellement tous les deux, et les bonnes sœurs écoutaient, patientes, amusées, incrédules. J’aimais la Bible presque autant  que le Ramayana et le Mahabharata, c’étaient des histoires qui me remuaient très fort, et me touchaient jusqu’aux larmes. Je pleurais quand le Seigneur Rama abandonnait sa femme enceinte dans la forêt. Déloyal, injuste. Tout ça parce qu’il avait surpris une conversation où l’un de ses sujets mettait en doute la pureté de Sita. Tout ça parce que le Seigneur Rama voulait montrer à ses sujets qu’il tenait compte de leur avis. Et c’est ainsi que sans rien dire à Sita, enceinte, il envoya son frère Lakshmana la conduire dans la forêt pour l’y abandonner, seule, sans protection. “Comment a-t-il pu, Ma, comment a-t-il pu ?” Je pleurais chaque fois qu’elle me racontait cette histoire. Une fois, mon père, surprenant cette conversation, déclara : “Tels sont les dieux que nous vénérons.” » (page 243)

Divorce
« Où irais-je ? Pas chez mes parents. Ils me presseraient de revenir, me diraient à quel point il est important de préserver un mariage. Ils diraient, ce n’est pas facile d’être une femme divorcée en Inde. Et que diront les gens ? Ma mère  ajouterait, tout bien pesé, c’est la femme qui doit céder le plus. Mieux vaut que tu acceptes. Dans dix ans tu seras contente d’avoir suivi notre conseil. Sinon leurs cœurs seraient brisés (…) À quoi ça ressemblerait de vivre par moi-même ? Uniquement moi et ma chambre, mes livres, ma musique, mes amies ? Certains hommes penseraient que j’étais une proie facile. Que diraient-ils au travail ? Nous pensions que c’était une fille si bien. On ne serait pas attendus à ça de sa part. » (page 37)
  
Enfance
« J’avais alors quatre ans, mais certains souvenirs sont restés vivaces, gravés dans mon esprit, comme le bougainvillée rouge près de la maison de mes grands-parents. Des couleurs, partout des couleurs ; dehors, dans le jardin ; dedans, jaillissant des vases dans chaque pièce. Les broderies de ma mère partout dans la maison, des nuances chatoyantes de rouge, d’or et de vert, comme les saris qu’elle portait. Souvenirs de brouillard et de lucioles, et Ponni dans sa robe violette… ses poux… mes poux. Odeur du bois à brûler se propageant de la salle de bains à la cuisine, se mêlant à l’odeur du curry de viande. Oui, le curry de viande et ma crise, la Reine de toutes les Crises. » (page 45)

Famille
« Dans une grande famille, on doit avoir le cœur grand. On doit apprendre à partager. Un soir que je revenais d’un récital de sitar, elle dit, à mon époque une belle-fille était plus responsable, elle passait plus de temps à la maison. Passer plus de temps à la maison était devenu son refrain lancinant. À toutes nos trop rares sorties, nous y avions déjà mis un terme, car son déplaisir à notre retour aurait rempli la maison. Je ne supportais pas ces retours à la maison. Siddharth disait, puisque ça la bouleverse, nous ne sortirons pas. » (page 22)

Fantôme
« M. Srivastava dit : “Pour vous, parce que vous êtes madrasi et que les Madrasis sont de bons locataires, nous vous demandons seulement mille cinq cents roupies pour notre splendide barsati.
— Mais votre barsati est hantée, dit Rao.
Hantée ! s’exclama M. Srivastava. Qu’est-ce que vous dites ?
— Vous ne savez pas ? Vous n’en avez jamais entendu parler ?
— Jamais entendu dire rien de pareil.”
Rao leur raconta. Il y a huit ans, une jeune Indienne du Sud avait vécu dans la barsati. Un jour, aussi discrètement qu’elle avait vécu, elle s’était pendue. Une fille douce, gentille, personne n’a compris. Depuis lors, on a dit que son esprit hantait la barsati. » (page 143)

Histoires
« Pendant que ma mère me racontait nuitamment les histoires du Ramayana, et Le Petit Chaperon Rouge, Ponni m’apprenait que des jeunes mariés devaient dormir ensemble sans vêtements. Ma tante, jeune mariée, vint nous rendre visite avec son mari, et dans une pièce pleine de parents excités et bavards, je lui agitai un doigt réprobateur sous le nez. J’ai dit, je sais ce que tu as fait. Oh, Ponni, Ponni, ils t’ont mise à la porte, je n’ai jamais eu l’occasion de porter ta robe violette, et l’épouillage a été douloureux. » (page 53)

Karma
« Ah ! la promesse de nos naissances futures où nous pouvons nous racheter des péchés commis dans la présente, qui nous fait accepter les souffrances de cette vie, en croyant que notre douleur est le karma, conséquence de tous les péchés commis dans l’existence antérieure. Il y a beaucoup à dire sur la philosophie hindoue, sur la croyance qui apporte avec elle résignation et espoir. Elle refuse la damnation éternelle de l’Enfer, explique l’inexplicable, elle est la seule réponse logique au tourment du pourquoi. » (page 262)

Langues
« M. Aggarval pouffa de rire. “Les Madrasis parlent anglais avec une prononciation si désastreuse.
— Oui.” Et M. Singh partit d’un gros éclat de rire. “Ces Yannas, ils disent yex au lieu de x, yam au lieu de am… quand ils parlent anglais, personne ne les comprend
— Quelle importance l’anglais qu’ils parlent ?’ grommela M. Srivastava. Tout ce que je veux, c’est un bon locataire madrasi pour ma barsati, et les seuls locataires qui se présentent sont du Nord.” » (page 137)

Lecture
« Que faire ? Je terminai la boîte de friandises du réfrigérateur, lorgnai avidement Jane Eyre que j’étais en train de lire pour la troisième fois (Pourquoi ne l’avais-je pas fini avant de faire mon vœu ?) et rêvai de passer une journée dans la bibliothèque. Je restai longtemps devant l’étagère de ma chambre, fermai les yeux, tirai au hasard un livre et, en l’ouvrant, le humai profondément, une odeur qui me noue toujours le ventre d’une excitation à venir. Humer, ce n’était pas briser un vœu. Ensuite je remis le livre en place. Je fis un saut jusqu’à la bibliothèque voisine, m’assurai que j’avais lu la plupart des livres et qu’aucun d’eux ne valait la peine d’être relu. Malade d’envie, en larmes, je rentrai à la maison. Là, mon père me remit une lourde boîte en carton. Je l’ouvris. Des livres, des livres, des livres. “Que des occasions, dit joyeusement mon père. Je n’ai pas pu résister à une bonne affaire pour ma petite fille.
— Mais, dit ma disciplinée de mère, un seul à la fois, pas plus d’un seul par jour, sinon c’est l’indigestion mentale. Choisis-en un, me dit-elle. Et toi, mets le reste sous clé”, dit-elle à mon père. Elle connaissait très bien mes aptitudes à me droguer de littérature et me prescrivait une dose aussi faible que possible, agacée par mon état de stupeur durant mes périodes de lecture. » (page 236)

Mariage
« Quand tu seras mariée, peut-être alors comprendras-tu qu’un père et qu’un mari sont deux choses très différentes. Dans un mariage arrangé tu n’auras pas de désillusions, car tu n’auras pas eu d’illusions au départ. C’est pour cela que les mariages arrangés marchent. Bien entendu, nous ne mettrons pas de pression sur toi. Fais-nous savoir si tu es d’accord pour que ce garçon te rencontre et j’écrirai en ce sens à tante Naina. » (page 280)

Mère
« Pour la mère qui avait prié toute sa vie, la prière c’était comme se laver ou se brosser les dents ou couper les oignons. Elle avait trouvé de la force dans les paysages que ces choses créaient, et parfois une certaine paix. Une fois, quand son mari lui fit le reproche de n’avoir préparé que huit plats pour une réception, elle avait eu envie de briser toute la vaisselle dans la cuisine, mais au bout de cinq minutes passées dans un coin avec ses dieux, elle n’en avait rien fait. C’est ce qu’elle ne pouvait expliquer à son enfant. Elle ne pouvait pas dire, tout va bien, ce sont des choses qui arrivent, ou déclarer, tu oublieras, sachant très bien que sa fille n’oublierait pas. Si tu ne reviens pas l’année prochaine, écrivit-elle, sachant pertinemment qu’elle ne reviendrait pas, c’est moi qui irai te voir. Elle ferait semblant d’avoir une crise cardiaque, se dit la mère, son cœur battant très fort, les larmes coulant maintenant avec rapidité, et se tenant la tête à deux mains. Elle téléphonerait à sa fille pour dire, je veux te voir avant de mourir, alors sa fille rentrerait à la maison, oui, elle rentrerait à la maison, et elle laisserait repousser ses cheveux. » (page 290)

Mousson
« Avec la mousson arriva Rao, un homme de haute taille, à la peau sombre (tout comme le Seigneur Krishna, chuchotèrent toutes excitées les amies de Mme Srivastava) avec un sourire qui la fit complètement fondre. C’était en fait le premier jour de la mousson. La pluie la pluie la pluie. Quel tonnerre, quels éclairs, quel pullulement d’enfants criant de joie à se tremper dans ce premier déluge, quelle armada de petits bateaux blancs flottant et dansant dans les caniveaux et les flaques. » (page 141)

Politique
« J’écoutais, tandis que mon beau-père faisait des citations poétiques et que Siddharth pestait contre la faiblesse du peuple indien, l’amour indien de l’autorité. Personne ne tient tête à personne, disait-il au désespoir, notre pays s’en va à vau-l’eau. Ça le chagrinait que je n’exprime aucune opinion politique. C’est mal, disait-il, c’est très mal d’être si apolitique. Ce qui se passe dans notre pays, ça ne te touche pas ? demandait-il. Même ma mère possède une opinion. Tu me désespères. Je les désespérais tous. Je n’avais pas de convictions politiques, je n’étais pas religieuse, je ne priais pas, je ne jeûnais jamais, je ne formulais pas d’opinion sur la vie. » (page 24)

Réincarnation
« Il est des fois où j’envie les convictions de Mala Mousi d’une seule vie et d’une seule mort, et rien avant et rien après, j’envie aussi son optimisme et sa confiance en elle. Mais si j’avais ses convictions, je n’aurais pas son optimisme, comment pouvoir continuer à vivre, en sachant que c’est la fin, que c’est tout ce qu’il y a ? Je prie, simplement au cas où. » (page 263)

Seigneur Rama
« Oui, ma mère connaissait Dieu. Ils étaient en relation permanente. Quand je mentais, elle plongeait ses yeux dans les miens, puis déclarais, tu mens. Abattue, je disais, tu le sais ? Et elle répondait, Dieu me l’a dit. Dieu lui disait tout. Quand je disais la vérité, Il lui disait que c’était la vérité. J’étais sûre que ma mère était de mèche avec les Dieux dans la chambre de mes grands-parents, où s’affichaient leurs photographies et leurs statuettes. Faisaient-ils tous bloc avec elle — le Seigneur Rama, le Seigneur Krishna, le Seigneur Shiva, le Seigneur Venkateshvara, la Déesse Parvati, la Déesse Sarasvati, la Déesse Lakshmi ? Je présumai que c’était le Seigneur Rama qui parlait à ma mère, car c’était à Lui qu’elle adressait ses prières, c’étaient Ses histoires qu’elle me racontait tous les soirs. À moins que ce ne fût le dévoué serviteur de Rama, le Seigneur Hanuman. » (page 48)

Sexe
« Est-ce qu’on en finirait jamais avec toutes ces expériences ? Impossible ! Mais avec toute cette activité, comment les gens mariés pouvaient-ils paraître si calmes, si posés, si différents de l’exubérance de l’Acte quotidien ? Un jour qui fit date, mon amie découvrit, dans la chambre de ses parents, un livre de poche passablement fatigué qu’en leur absence elle lut à toute vitesse, terrorisée à l’idée de leur retour, subjuguée par les découvertes qu’elle était en train de faire. C’était plutôt compliqué, m’a-t-elle dit plus tard d’une voix feutrée. Apparemment, le sexe se divisait en quatre étapes — les préliminaires, c’est-à-dire le baiser ; le rapport sexuel, c’est-à-dire le rapport sexuel ; l’apogée, c’est-à-dire le point culminant : l’orgasme, c’est-à-dire la délivrance. L’art du baiser, que nous avions toujours considéré comme tellement simple, nous sembla presque aussi lourd de complications que l’acte qui suivait. » (page 227)

Suicide
« Absorbée dans mon livre, je n’avais ni intention ni intérêt de lui céder. Aussi c’est elle qui dit : “Je parie que personne ne t’a dit que Sangeeta Didi était morte parce qu’elle s’était pendue au ventilateur.”
Je posai mon livre.
“Je savais que je parviendrais à t’arracher à la lecture de ce livre stupide”, jubila-t-elle.
Je la regardai fixement.
Elle grimaça un sourire. “Et avant de se tuer, elle a coupé la… chose d’Abhinay, et il est mort dans son sang.” Et saisie de confusion à évoquer la “chose” d’Abhinay, elle se couvrit la bouche et pouffa de rire. » (page 252)

Traditions
« Je parlai à Siddharth le jour même. J’étais pleine d’appréhension. Il se moqua de mes craintes. Ne dis pas de bêtises, dit-il. Ce sont des traditions qu’on ne peut pas ne pas respecter. Ta mère a raison. Nous devons rester à l’écart. J’ai dit, mais c’est nous qui sommes les mariés. Il répondit, ne t’en fais pas, il n’y a vraiment pas de quoi s’énerver. J’ai dit, ta mère a donné à la mienne une liste de vos parents auxquels nous devons donner saris et costumes. Ça va coûter à mes parents dix mille roupies. Siddharth dit, eh bien, ils en ont les moyens, n’est-ce pas ? Ca me glaça le sang. Siddharth, ai-je dit, tu sais qu’il ne s’agit pas de ça. Il soupira et dit, ce sont des cadeaux qu’on offre avec un grand bonheur à l’occasion d’un mariage. Prends-le avec cet état d’esprit et cesse d’y voir autre chose. » (page 18)

Viol
« Parlé du viol à mes parents. Ils auraient bien sûr tout annulé. Et Sangeeta, avec sa virginité perdue, aurait continué à vivre avec nos parents, en femme déchue, comme diraient les gens. Réduite à néant, elle aurait disparu sans bruit dans la grisaille d’un célibat éternel, pendant que mes parents priaient pour qu’un homme sympathique survienne et l’aime en dépit de tout, sans rechercher un hymen intact. » (page 231)