« Au dernier jour du mois de mars de l’an 1848, à la dernière heure du soir, juste avant que la pendule eût sonné minuit au rez-de-chaussée, Margaret Fox étouffa un cri d’effroi en mordant la pointe du traversin. »

À partir de bribes biographiques arrachées à la fosse commune, Théorie de la vilaine petite fille retrace le destin hautement romanesque des sœurs Fox. Ou comment deux petites filles manœuvrées par leur grande sœur inventent le spiritisme, un phénomène qui va bouleverser l’Amérique et tout l’Occident.

C’est ainsi qu’au milieu du XIXe siècle, dans une ferme réputée hantée de Hydesville, Kate Fox, une fillette de onze ans et sa sœur Margaret de trois ans son aînée s’étonnent de bruits insolites dans les murs et les planchers. Très vite Kate transforme leur effroi en jeu de cache-cache. S’il y a un fantôme dans la maison et qu’il prend la peine de se manifester, c’est sûrement qu’il a quelque chose à leur dire. Sa sœur Maggie et bientôt leur mère se prennent plus sérieusement au jeu. Au moyen d’un système de coups frappés, Kate et les siens inventent une sorte de télégraphie spirituelle et parviennent à dialoguer avec l’entité. Leah, la sœur aînée qui débarque de Rochester, comprend tous les avantages qu’elle pourrait tirer des pratiques ludiques de Kate et Margaret. Le phénomène prend des proportions inédites. Les sœurs Fox deviennent la coqueluche de la bonne société de l’État de New York, et bientôt de l’Amérique tout entière.

Soutenues activement par les Quakers, les Mormons, les ligues anti-esclavagistes et les mouvements d’émancipation des femmes, mais aussi par quantité de scientifiques, de politiciens et d’hommes de lettres, les sœurs Fox, devenues des sortes de stars, se produisent dans les églises, les salles de congrès mais aussi les music-halls et le célèbre cirque Barnum…

En rendant les sœurs Fox à la vie, Hubert Haddad met en perspective, avec une merveilleuse empathie et une étonnante allégresse, l’invention du spiritisme et un demi-siècle de la folle Amérique. C’est Broadway, l’Amérique des grands shows, l’art de la mise en scène et de la manipulation des foules. Quant à la communication avec l’outre-monde, le roman nous laisse le choix d’y croire ou de ne pas y croire, même si l’humour du récit, porté par le personnage feu follet de Kate et quelques autres figures cocasses, vivantes ou mortes, vient dénouer en permanence les terribles tensions à l’œuvre.

À travers le point de vue de Kate et Margaret Fox, et toute une galerie de personnages secondaires, chercheurs d’or, abolitionnistes, militants de l’idéal, hommes d’affaires, prêcheurs d’apocalypse, Théorie de la vilaine petite fille porte un regard visionnaire sur le Nouveau Monde. Un authentique roman américain.