Quelque part entre Bretagne et Vendée, du côté de Noirmoutiers ou des confins de Guérande, dans les carreaux de salines où le vent souffle sur les aires de cristallisation, Lucia Antonia épingle bien des papillons épars sur ses petits carnets, entre telle ou telle pensée toujours surprenante de justesse : « Le départ d’une personne aimée fait de nous de grands hallucinés, et nous plaçons dans ces visions la prophétie de leur retour. » Et l’on enchaîne avec une émotion renouvelée les très brefs chapitres aux allures parfois d’inventaires à la Sei Shonagon, ou de mémorandum intime, jetés en une page ou quelques lignes, de ce roman onirique tout illuminé par cette magie du cirque qui blasonne nos souvenirs d’enfance : de l’arrière-grand-père évoquant le fameux Jules Léotard qui inventa le trapèze volant et le justaucorps, à la découverte, avec le même léger frisson de fièvre, de l’art des acrobates et des fildeféristes, croisant à l’occasion d’autres personnages, petite fée des roulottes ou danseuse au tambour, toutes les histoires d’acrobates et de funambules qui emplissent la mémoire vive de Lucia Antonia, ange ou oiseau comme frappé de malédiction. Et toujours, en filigrane ou en majesté, la merveilleuse Arthénice, complice des agrès et des filins si amoureusement évoquée par-delà la chute sans fond de la séparation.

 

La pureté cristalline du style explique sans doute en partie cet enchantement de lecture qu’éclaire, par touches musicales, ce que murmure le peintre à l’oreille de Lucia Antonia : « À celui qui reçoit bien les impressions de la nature, il ne manque parfois qu’une tension élevée de l’esprit pour devenir artiste. » Et l’on se prend à croire, en lisant ces pages à l’enjouement doucement mélancolique évoquant parfois une aria de Mozart ou de Schubert, que le paradis n’est pas verrouillé.