« Strindberg rédigeait des lettres quasi quotidiennement, parfois plusieurs par jour. En évoquant – dans une lettre! – sa production de l’été 1884, il mentionne, à côté des nombreux textes destinés à la publication, « 200 lettres », autrement dit plus d’une par jour pendant les trois mois estivaux. La raison de cette prolixité était avant tout pratique : au cours de son existence Strindberg se trouvait souvent loin de ses interlocuteurs ; il a vécu près de quinze ans à l’étranger, et de façon générale il se déplaçait beaucoup, était éloigné de sa famille, de ses trois femmes successives, de ses enfants, de ses amis (et de ses ennemis), de ses éditeurs (réels et potentiels), de ses traducteurs, de ses bienfaiteurs et de ses créanciers. Les rapports avec tous ces gens se maintenaient par courrier.

Mais l’éloignement n’explique pas tout. Strindberg écrivait des lettres même lorsqu’aucune nécessité matérielle ne l’exigeait, il correspondait avec des personnes habitant la même ville, parfois une rue voisine, il poursuivait souvent par écrit une conversation entamée de vive voix – homme timide, il préférait la communication à distance ; homme méfiant, il privilégiait le mode qui lui permettait de garder le maximum de contrôle.
En lisant la correspondance de Strindberg, on a l’impression d’assister en direct à une aventure intellectuelle et affective d’une intensité hors pair. Écrire – y compris écrire des lettres – est pour lui le synonyme de réfléchir, et ce mouvement de la pensée se reflète dans chaque mot, dans chaque signe de ponctuation. Scribo ergo sum pourrait être sa devise. »
Extrait de la préface d’Elena Balzamo.