« Appeler les monstres par leur nom. 
Au-delà du témoignage nécessaire pour ne pas oublier, le récit de Boubacar Boris Diop consacré au génocide rwandais, réédité par Zulma et accompagné d’une postface de l’auteur, interroge sur la notion même de génocide. Comment dire, quand « même les mots n’en peuvent plus » ?
Au terme de son voyage au Rwanda quatre ans après le génocide, le romancier sénégalais Boubacar Boris Diop livrait un récit où plusieurs voix se succédaient pour dire l’horreur des massacres. Réédité dix ans plus tard par les éditions Zulma, il constitue toujours une pierre essentielle à l’élévation de l’édifice du devoir de mémoire. Pour dire les images qu’il a vues là-bas, il prête sa voix à Cornelius, un exilé qui revient dans son village de Murambi, lieu symbolique du massacre de 1994. Il y apprendra le pire, sa famille massacrée par son propre père, engagé dans la milice hutu. Comme dans une enquête, Cornelius déroule l’horreur de l’histoire au fil de ses visites dans des lieux aux symboles effrayants, ses rencontres avec des témoins, des survivants et des acteurs des massacres. Les voix se succèdent, implacables preuves de la réalité la plus abominable : celle du chef d’un groupe milicien qui détaille les « préparatifs » du massacre des Tutsi, en contrepoint de laquelle est restitué le témoignage d’une jeune Rwandaise qui, refusant d’attendre que les tueurs la découvrent, rejoint la rébellion et prend les armes. Il y a aussi comme une respiration au milieu de ce flot étouffant, la religieuse hutu qui aide les Tutsi persécutés à passer la frontière du Zaïre. À travers ces paroles de survivants, Cornelius cherche des réponses. Comment tout cela est-il arrivé ? Pourquoi Hutu et Tutsi ne peuvent-ils vivre ensemble ? En toile de fond, Boubacar Boris Diop interroge également l’Occident. Qu’avons-nous fait, ou qu’aurions nous dû faire ? On ne trouvera pas de réponse dans ce roman, car on ne peut expliquer un génocide. « Un génocide n’est pas une histoire comme les autres, avec un début et une fin plus ou moins ordinaires. » Mais on peut lire et lire encore la parole de ces témoins, car c’est la seule solution pour ne pas oublier et faire que jamais cette abomination ne se reproduise. La seule réponse que l’on trouvera dans ces lignes est sans appel : tout, mais surtout pas le silence. » Amélie Muller, librairie Doucet — Le Mans