Enseignant dans un collège de province et marathonien, Matus est un sexagénaire aussi vindicatif qu’idéaliste qui vénère plus que tout le drapeau mexicain et rêve de rattacher le Texas à la république fédérale. Dans ses harangues patriotiques, il appelle les Mexicains à se mobiliser sous sa bannière. À l’origine de ce formidable élan de reconquête de la dignité nationale, Matus institue un corps expéditionnaire : ce sera l’Armée illuminée.

Le généralissime Matus part belle et bien à la reconquête de Fort Alamo à la tête de son armée improvisée : cinq adolescents un peu simplets convaincus de leur devoir et de la noblesse de l’épreuve : Cerillo abandonné par sa mère dans l’espoir qu’il devienne un héros, le Gros Comodoro, espèce de Sancho Pança glabre et tourneboulant, El Milagro, miraculeusement rescapé d’un accident de la route danslequel il a perdu toute sa famille, Ubaldo l’artiste du groupe et la très lunatique Azucena, qui à elle seule joue tous les rôles féminins – dulcinée de Comodoro, mère de Cerillo, infirmière de l’armée…
Les forces de Matus embarquées sur une charrette à foin que tire une mule indocile n’ont pas oublié les vieux fusils, les friandises, un précieux manuel du soldat et tout le fourniment. Et voilà que commence l’épopée pleine d’ardeur des « Illuminés » – une quête magistrale et dérisoire, mêlant indissociablement le réel et l’imaginaire, dans la veine prodigieuse d’El ultimo lector.
Chez Toscana, la distorsion du réel – qu’il manie ici encore avec une maîtrise époustouflante – ne relève pas du fantastique : le possible est simplement repoussé dans ses limites, poussé à l’extrême, tout comme le sont ses personnages. Aussi a-t-on constamment l’impression de rêver, lors même que tout est réaliste, tout est « vrai ». Cette vérité-là n’est pas gratuite, c’est elle qui soutient le refus de l’impérialisme yankee, des modes européennes, l’exaltation des pauvres, des simples, leur droit à la dignité, sans complaisance, sans mélodrame, sans niaiserie, et donne une actualité saisissante à cette œuvre pleine de poésie, qui sonne remarquablement juste.