L’Islande, qui signifie « terre de glace », est aussi une terre de feu, avec ses volcans et son tellurisme. Le roman d’Audur Ava Ólafsdóttir commence dans un paysage crépusculaire de laves couvertes de lichens. Très vite, nous subjugue cette vertu première de toute fiction qui est de suspendre en nous toute réticence, de nous mettre dans cet état de grâce de la lecture. L’empathie pour le narrateur nous met corps et âme à sa place, dans sa peau même, avec une sorte de sentiment provisoire de délivrance. Accueilli dans l’intimité d’un mode de vie guère éloigné du notre, nous faisons vite connaissance avec le garçon des roses, jeune protagoniste qui nous raconte son aventure australe avec une désopilante candeur, un naturel séraphique.
   
Arnljotur va quitter la maison de naissance, son frère jumeau autiste et son vieux père octogénaire. De vingt ans plus jeune, la mère est morte récemment dans un accident de voiture. Mourante dans le tas de ferraille, elle a trouvé la force de téléphoner aux siens depuis son portable et de donner quelques tranquilles recommandations à son fils qui, le premier à décrocher, aura écouté sans s’en rendre compte les dernières paroles d’une mère adorée, sans doute un tantinet new age, portée sur les sagesses orientales. Un lien les unissait : le jardin et la serre où celle-là, horticultrice émérite, cultivait dans sa roseraie une espèce rare de rosa candida à huit pétales. Le narrateur, depuis l’enfance, partageait cette passion des graines, des boutures et des surgissements floraux. Le jardin est bien pour lui une figure de l’éden, du paradis perdu, avec une mère en Eve tutélaire (et un père plutôt en saint Joseph). C’est dans cette serre que le jeune Arnljotur aura aimé Anna une amie d’un ami, un petit bout de nuit, et l’aura mis innocemment enceinte. Anna, étudiante en biologie, vit sa vie et se rappelle à lui. Notre candide qui s’interroge tellement sur le corps, la mort et les roses reverrait volontiers le bébé et sa mère. Prêt à aimer toute manifestation de vie en saint François des fleurs. C’est qu’il ne connaît pas la faute et cherche seulement la chaleur des choses.
  
Tout commence à vrai dire avec un départ. D’une simplicité de cœur adamique, le jumeau dépareillé pourtant doué pour les études ne rêve que d’une vie de jardinier de l’éden. Et sur le continent,  dans un pays hyperboréen voisin, il y a une roseraie légendaire rattachée à un ermitage qui demande à être sauvée de l’abandon. En route pour cette destination, avec dans ses bagages deux ou trois rosa candida de sa mère en pots, Arnljotur part sans le savoir à la rencontre d’Ana et de sa petite fille, là-bas, dans un autre éden oublié du monde et gardé par un moine cinéphile. D’une tendre cocasserie qui surprend par l’étonnante justesse de ton donnée à la narration d’un jeune homme infiniment naïf, lequel semble n’avoir aucunement hérité des valeurs viriles, ce roman de l’Islandaise Audur Ava Olafsdottir offre une immersion onirique dans un univers comme dédramatisé par la toute présence des fleurs, des roses en particulier, de cette merveille florale qui s’empare de la narration et s’étend aux êtres et aux lieux.
  
Le héros candide de cette histoire, si affectueux avec ses roses et son nourrisson conçu comme elles dans une serre, se vit avec une étrange plénitude féminine, à l’image de sa mère morte, peut-être, dans l’accueil et l’acquiescement. D’un réalisme sans affèterie, tout l’art d’Audur Ava Ólafsdóttir réside dans le décalage du personnage, si éloigné des clichés du héros mâle dépressif  à la mode, jeune homme pétri d’une sensibilité d’ordinaire attribuée aux femmes. Cette insolite justesse psychologique, étrange comme le jour austral, s’épanouit dans un road movie en forme d’initiation à la vie adulte dont notre héros sort plus ingénu que jamais, avec son angelot sur le dos.