Journaliste vedette dans son pays, à une époque où la littérature ne fait pas encore vivre, Enrique Serpa (1900-1968) publie son premier roman Contrebande en 1938. Il lui vaudra le Prix National du Roman à Cuba et l’admiration d’Hemingway.

Plongée fascinante dans La Havane des années 20, Contrebande dépeint avec une splendide intensité les misères et les rêves de grandeur d’un peuple de pêcheurs qui se débat pour survivre.

« Contrebande d’alcool ; contrebande de sentiments ; contrebande de pensées, pour endormir ma conscience, qui parfois protestait. Mais qu’étais-je d’autre, moi, l’hypocrite, le timide et le vaniteux, qu’un produit frauduleux parmi tous ces hommes véritables… »

C’est par cet exergue que s’ouvre le roman d’Enrique Serpa. Une violente unité dramatique de bout en bout l’inspire, avec l’aventure pour enseigne. C’est l’histoire d’un duel psychologique entre le propriétaire de La Buena Ventura, une goélette vouée jusque-là à la pêche, et le capitaine de bord, un baroudeur surnommé Requin. Entre l’armateur et Requin, homme d’honneur, un peu forban à ses heures, un peu assassin, s’instaure vite une relation ambiguë de mépris et de domination sur fond de fascination : le narrateur, plutôt lâche et mythomane, usé par la débauche et définitivement neurasthénique, admire le marin et cherche de manière maladive son approbation. C’est ainsi qu’il accepte au bluff la proposition du loup de mer. Ce dernier en effet le convainc qu’en cette période de prohibition aux États-Unis (nous sommes dans les années trente, à Cuba), la contrebande d’alcool est bien plus lucrative que la pêche au mérou. D’autant que la concurrence économique est à son comble, sur fond de corruption généralisée.

Ex-ingénieur chimiste à l’American Sugar Company, le propriétaire de La Buena Ventura abandonnera non sans effroi son projet de pêche pour cette périlleuse expédition dont les préparatifs et l’accomplissement vont tenir le lecteur en haleine. À travers l’agitation d’une foule de pêcheurs, prostituées, contrebandiers, enfants miséreux, couve le feu qui embrasera l’île de Cuba où l’insolente fortune de quelques-uns nargue l’extrême dénuement du peuple.