« En ces temps où la diplomatie française est tellement mise à mal et où sa politique étrangère est mise en cause, en tout cas jusqu’à l’arrivée d’Alain Juppé-le-meilleur-d’entre-nous à la tête du Quai d’Orsay, je vous propose une lecture ou une relecture de Murambi, le livre des ossements, ré-édité aux éditions Zulma, qui fêtent leur 20 ans.
Un roman de l’écrivain sénégalais Boubacar Boris Diop, écrit à l’issue d’une « expérience » hors du commun, un séjour au Rwanda, quatre ans après le génocide, en compagnie de plusieurs autres écrivains africains, avec pour objectif de rendre compte, chacun à leur façon, de ce qu’ils avaient vu. Et cela donne ce roman tellement réel, écrit grâce à des témoignages de victimes, des visites de lieux de mémoire, des rencontres effrayantes. Un roman qui nous raconte les atrocités d’un régime génocidaire, qui en cent jours, extermina entre 800 000 et un million de personnes. Le récit de cette abomination nous rappelle les effroyables témoignages recueillis par le journaliste et écrivain Jean Hatzfeld, comme le travail très précis du journaliste Patrick de Saint-Exupéry.
Trois mois, entre avril et juillet 1994, pendant lesquels, chaque jour, méthodiquement, systématiquement, 10 000 personnes, hommes femmes et enfants, ont été massacrées sans que la communauté internationale ne s’en émeuve réellement. La France ? On pourrait dire que tout se résume dans les propos tenus par François Mitterrand : « Dans ces pays-là, dit le Président socialiste, un génocide ce n’est pas trop important ». On était alors en période de cohabitation. Edouard Balladur était le Premier ministre. À la Défense, François Léotard, et au Quai d’Orsay, Alain Juppé.
La France, dont Boubacar Boris Diop dénonce le rôle. Il l’accuse d’avoir apporté une aide technique, logistique et politique aux génocidaires hutus.
L’écrivain a ajouté une post-face, datée du mois dernier, à la ré-édition de ce livre. Il y met en cause, comme il le faisait déjà par la voix des personnages de ce roman, le rôle sinon complice, du moins coupable de la France. Coupable d’avoir eu en mains tous les éléments annonçant ce génocide et de l’avoir laissé s’installer, coupable d’avoir soutenu le gouvernement génocidaire, d’avoir permis voire aidé des criminels de guerre à fuir, quand le Front Patriotique du Rwanda, défendant les Tutsi, reprenait l’avantage dans le pays. Boubacar Boris Diop n’est, bien sûr, pas le seul à fustiger le rôle de la France et de l’opération Turquoise, par laquelle 2 500 de nos soldats partirent à la fin du génocide, vers le Rwanda, avec pour mission officielle d’en protéger les victimes… des plaintes pour complicité de crime contre l’humanité ont été déposées et puis on le sait les relations diplomatiques entre Paris et Kigali ont longtemps été interrompues.
Une image restera en tous cas : celle de soldats français installant, en toute connaissance de cause, un terrain de volley ball au-dessus de charniers contenant des milliers de corps. Un panneau en témoigne encore, à Murambi, où 40 000 personnes ont été tuées.
Boubaca Boris Diop est également très sévère avec les intellectuels africains en général, qu’il accuse de ne ni regarder en face, ni décrire avec sincérité, l’étendue de ce génocide… il dénonce leur amnésie, plus volontaire qu’on ne le croit. »
Audrey Pulvar, France Inter 07 mars 2011