Médecin malgré lui, Michel Laclos a soigné et sauvé nombre de ses fidèles. « Le cerveau, un muscle qui se maintient grâce à l’exercice : le faire fonctionner diminue par deux le risque d’Alzheimer », affirment les médecins. Exemple de médicament sous forme de devinette prescrit par le Dr Laclos : « point de vue » = cécité ; « collectionneur de papillons » = essuie-glace ; « passé depuis peu » = hier ; « canard vivant » = journal télévisé ; « a enterré sa vie de garçon » = maître d’hôtel.

Des formules du niveau de celles des chercheurs enfermés dans leur laboratoire. Celui du prince des verbicrucistes se situe à la campagne, près de Troyes où il est né, dans une grande maison. Les oiseaux, les arbres, les fleurs, l’espace inspirent réflexions et trouvailles. Tenez : « jus de poire » = lavement ; « faire du vieux avec du neuf » = nonagénaire. Pas étonnant qu’un groupe d’accros de Facebook milite pour que Michel soit élu à l’Académie française. « Je n’ai pas fait Normale sup, explique-t-il. Mon père, ouvrier métallurgiste, était athée et je serais plutôt animiste. J’ai abandonné mes études au certificat pour travailler en usine. »

Michel Laclos, un géant. Baraqué, barbu. On l’aurait bien vu défiler le 14 Juillet, képi blanc, pas mesuré, derrière le drapeau de la Légion étrangère, sur les Champs-Élysées. Sourire ironique au coin des lèvres, un mot qui met K.-O. balancé de sa voix haute et saccadée. Pas facile de répliquer au même niveau. Impressionnant. L’homme vous transperce et vous explore. Et, subitement, un rire en cascade.

Ce rire avait retenti, très fort, lorsque j’avais commandé à Michel, chargé du cinéma dans l’hebdomadaire télé que je dirigeais, un article sur un film programmé sur l’une des deux chaînes d’alors. « Impossible, je suis seulement spécialiste du cinéma fantastique. Et ton film ne l’est pas. » Pas facile et belle façon de dégager en touche !

Jamais, à l’étranger, la langue française n’eut meilleur ambassadeur. À Tokyo, à Hawaï, dans un îlot des Philippines, à Carmel, les Français expatriés m’interrogeaient : « Vous travaillez dans le journal de Michel Laclos ? » Pour eux, Le Figaro Magazine, c’était lui. Il leur permettait de ne pas oublier leur langue, de la parfaire, de s’entraîner.

La bouffée du pays, c’était Laclos. Ils démarraient la lecture du journal par les dernières pages, se précipitaient sur les grilles de mots croisés.

En 1978, alors que nous préparions le lancement du Figaro Magazine, il s’essayait déjà aux mots croisés depuis 1972. Oubliant l’épisode du cinéma fantastique, je lui ai téléphoné. « O.-K. » Il a rejoint notre équipe. Succès immédiat. « La définition doit dérouter à la première lecture et apparaître limpide lorsque la réponse a été découverte. »

Je lui ai demandé, ensuite, des grilles de mots croisés pour Madame Figaro et TV Magazine. Il était ainsi devenu l’une des vedettes de nos magazines du samedi.

Michel, sans diplôme ni religion, a fréquenté dans les années 50 les Surréalistes, André Breton et la jeunesse du Flore, a changé de nom. De Jack Michel François, il est devenu Michel Laclos, rêvant de devenir comédien, fréquentant le Cours Simon, petits boulots, petits rôles, voisin de sa chambre de bonne, Bernard Buffet. En dessous, l’atelier de Dunoyer de Segonzac. Il travaille à la librairie Le Minotaure, à CombatParis JourTélé Magazine. À la radio de Colomb-Béchar, pendant la guerre d’Algérie, où il a été rappelé. Sa définition du mille-pattes lui convient : « il ne sait pas sur quel pied danser ». Fonde la revue Bizarre, qu’il dirige pendant quinze ans avec des collaborateurs prestigieux.

Bizarre, oui. Michel ressemble à ses définitions. Un brin tordu. Même sérieux, on croit qu’il plaisante. Il parle à la nature. Récite Bérénice à l’arbre de Judée. Collectionne les masques primitifs ou indiens, les poupées navajos, les masques de danse de guerre de Côte d’Ivoire. Il aime Marcel Proust et Céline, Hemingway, le groupe Cobra. Verdi, Puccini mais aussi le fantaisiste de la dérision, Bobby Lapointe. Ami de Breton, il a écrit un livre sur le fantastique au cinéma. Son club de fans ? Tous âges et toutes professions. Lorsqu’on lui demande : « Quel est votre jour de repos ? », il répond : « Mon jour de quoi ? »

Michel Laclos quitte le journal sur la pointe des pieds. Il laisse une multitude de recueils de mots croisés, dont quinze parus chez Zulma. Également Trucs, machins et autres chosesNouveaux trucs et machins. Textes savoureux, pensées cocasses, détournement de proverbes, invention de mots. « Des grilles savantes et rapides, vicelardes et réjouissantes, instructives et rigolardes », a écrit Remo Forlani.

Dans sa retraite campagnarde, il va continuer à dénicher pour lui tout seul des définitions. « Une forme de littérature, explique-t-il, mais aussi l’aboutissement d’une vie de lecture et de fréquentation d’autres amoureux du langage. » D’autres casse-tête ? « Père de chaussures » = Noël ; « promis à la fosse commune » = instrumentiste ; « sortie de son trou la tête la première » = dévissée ; « gare à la peinture » = Orsay.

Les accros, les fanas, les dingues de Michel Laclos le savent irremplaçable.

Et pour conclure, cette jolie trouvaille de Patrick Sébastien. En cinq lettres : Merci.

 

Maurice BEAUDOIN

Le Figaro Magazine du samedi 17 avril 2010